La vie c'est comme un Magnard à Pointes...
« Jules, JULES ! » La gamine le toise de ses yeux rieurs et anciens. Ses jambes grêles pendent dans le vide s’agitent un peu. En contrebas, l'herbe du pré, au loin la lande hospitalière. Son frère a couru, elle peut s’en apercevoir. Le rouge aux joues, il tient serré dans sa main un parchemin chiffonné. L’encre a même un peu bavée par endroit, là où sa paume entre en contact.
« T’es pas si débile que t’en a l’air, en fait. C’est pas moi qui le dit, c’est Rob. Le dirlo vient d’envoyer une lettre pour toi. L’année prochaine, on est obligé de t’emmener. » Sinéad a l’air aussi enthousiaste que si sa mère venait de lui annoncer une corvée particulièrement déplaisante. On, c’est lui-même, l'aîné de la fratrie Weasley. Aussi roux qu'eux tous. Le premier de leur lignée enthousiaste de jeunes lions facétieux. Pourtant au fond des prunelles d’un vert printanier, Julian détecte une once de fierté. Par principe, elle s’élance d’un bond félin sur son aînée et lui colle une bourrade dans le nez. S’en suit une interminable mêlée de bras et de jambes avant que les deux compères ne s’arrêtent, couchés sur le dos, la poitrine haletante, riant au rare ciel azur de cet été maussade. Leurs genoux écorchés se touchent légèrement.
"T’as pas intérêt à nous faire honte pendant ta répartition. L’honneur du clan est en jeu et je permettrais pas qu’un de ses connards d’anglais viennent nous en remontrer. » Il a commencé sa tirade en frottant doucement le médaillon que leur mère lui a remis pour son anniversaire entre le pouce et l’index.
« Alors écoute bien ceci. Quand le Magnard à Pointes viendra te renifler les orteils, tu te pisses pas dessus, ok ? C’est pas parce que t’es une gonz...fille… M'man te le pardonnerait pas. Lors de sa répartition à elle, elle l’a assommé avec une chaise et c’est comme ça qu’elle et p’pa sont tombés amoureux. » Pour toute réponse, la sorcière lui jette un regard oblique avant d’enfoncer son poing dans les côtes de son imbécile de frère. Puis, elle se demande si c’est douloureux de se faire arracher une jambe par un dragon.
« T’inquiète Sin’, je ferais mieux que ça. Le dragon je le dompterai et on s’envolera au-dessus du château. Alors seulement, j'épouserai la princesse. Et on vivra heureuse jusqu'à la fin des temps ». ...Parfois ça te brûle...
En guise de Magnard à Pointes, Julian se retrouve tremblante sur son tabouret. Elle a trouvé la chanson du Choixpeau distrayante et réconfortante. Son cœur d’enfant bat de manière erratique contre ses côtes, près à s’échapper. Peut-être laisserait-il un trou sanglant dans sa poitrine. La petite fille aurait sans doute préféré mourir que d’entendre la décision de cette étoffe maudite. Et pour ce qui était du dragon, même si elle redoutait l’amputation de sa jambe –parce qu’une jambe c’est toujours pratique - elle aurait voulu effacer le sourire supérieur des autres Sang-Purs de leur visage de fils de bourge. Sa robe était certes d’occasion mais son courage était authentique. Un jour, elle leur montrerait à quel point elle pouvait leur être supérieure. Un jour, elle laverait l’honneur de sa famille. Elle serait plus puissante que leur moquerie et on apprendrait aux petits enfants à craindre les victimes car elles deviennent bourreaux à leur tour. Alors quand vient le tour de Rob de passer l’épreuve, elle souhaiterait pouvoir le protéger des regards moqueurs et inquisiteurs de certains de leurs condisciples. C’est pourquoi elle lui a parlé de l'épreuve Troll en comprenant enfin le mensonge de son ainé. En se fixant une peur profonde, un danger de mort imminent, on fait reculer les tracas du quotidien, les petites attaques sourdes et muettes, les sourires en coin, les sous-entendus détestables. Ainsi, dans le secret de son cœur tendre d’adolescente, elle se fait la promesse de réduire tout ces riens blessants à néant. La première étape consiste à faire de son corps et de son âme une arme unique afin de se mesurer sans cesse et de les dépasser sans cesse jusqu'à ce qu'ils abdiquent. La victoire n'a de goût qu'à l'aulne du sacrifice.
...Parfois ça te mord...
« Non. Je refuse de porter cette horreur. » Son ton est catégorique alors qu’une grimace plisse son nez en une moue affreuse. Sa mère tient l’objet du conflit d’une main assurée. Son unique fille n’irait pas visiter Tante Muriel dans une tenue d’homme. Pourtant la sorcière semble se rebiffer comme un cheval rétif.
« Ma chérie, fait un effort. Tu sais bien que ta tante n’est pas aussi progressiste que nous. C’est juste l’histoire de quelques heures. » La rousse n’ose même pas tendre un doigt circonspect vers la tenue que sa génitrice tente par tous les moyens de lui faire enfiler depuis trois heures. Elle préfèrerait se faire gober par un Vert Gallois ou embrasser cet abruti de Cormac Pentaghast que de subir l’humiliation cuisante de devoir sortir de sa chambre, vaincue, sous le regard moqueur de sa fratrie. Les prunelles de sa mère s’assombrissent de quelques tons. Celui des crises en devenir. La matriarche ne souffre pas le refus.
« Julian Vesper Weasley, vous allez prendre cette robe et vous en vêtir. Toute résistance est inutile. » Les deux prénoms. Le sésame. Dans un grognement courroucé, Julian s'exécute. Elle se sent stupide dans cet accoutrement.
"Vous vos gueules ! " Son aboiement sec claque sur le carrelage de la cuisine avec une sécheresse peu commune. Pour une fois, il n'y aura pas de remarque en plus. Le bal de Noel a été une humiliation suffisante. Ses frères le savent. Et bien plus que la perspective de vivre l'enfer dans le deux pièces empuantis de leur tante folle, ce sont les réminiscences des blessures faites à sa fierté qui rejaillissent dans cette tenue ridicule. Etre pauvre n'avait jamais été un problème pour la cadette. Elle en tirait d'ailleurs une certaine fierté, même si elle volait sur un Comète 70, une antiquité poussive, que l'intégralité de ses livres étaient d'occasion, que ses robes ressemblaient plus à un patchwork de nuances de noir qu'au vêtement sur-mesure de chez Madame Guipure. La robe à fleurs de sa grand-mère Arabella avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase de son orgueil. C'était le cuisant rappel que les choses étaient vouées à rester immuables. Pas de bonne fée pour transformer ce morceau de drap mité en robe de soirée. Pas de coiffure époustouflante. Pas de princesse à sauver. Pas de royaume lointain à conquérir. Elle l'aurait pourtant mérité. C'est ce qu'elle se répète pour refouler les larmes de rage et d'impuissance que cet imprimé vieillot lui inspire.
et souvent ça te pète à la tronche.
Parfois l’âge est un problème. On se rend plus facilement compte des périls qui s’éveillent dans les ombres de sa chambre. Qui nous surveille ? Qui nous regarde dans les ombres du soir ? Quand Voldemort est mort que le secret de son infamie a été révélé au monde, Jules n’a pas supporté de savoir sa famille en danger. Nombres sont ceux qui parmi les Sang Purs auraient bien rayé les dérangeants Weasley des registres. Alors secrètement, elle a commencé à les chercher et par extension chercher ceux des autres. Pas pour les contrôler mais savoir c’est pouvoir n’est-ce pas ? Alors sous le regard de sa famille, elle a retourné méthodiquement leur domaine miteux, pierres par pierres et ce sans résultat.
« Protéger et Servir ». Voilà ce que lui gueule son manuel dès que Jules l’ouvre sur l’une des tables de la bibliothèque. Ainsi, elle réfléchit sérieusement de son côté, en explorant les rayons les plus poussiéreux de trouver une méthode de protection suffisante pour éviter les catastrophes qui ne manqueront par d’arriver si une personne sensée ne prend pas le contrôle de la situation.