Fatricide
Si vous êtes à la recherche d’une histoire qui fera pleurer dans les chaumières, vous êtes au mauvaise endroit. Pas de passé déchirant, de parents méprisables, d’enfance misérable ou de souvenirs traumatisants… L’élément le plus désolant du récit qui suit, d’après Cassandra, c’est la présence de ce troll qui lui sert de frère, Noam, un grand dadais qui n’a pas inventé la poudre de cheminette et qui a pour seule et unique mission de faire de sa vie un enfer. Qui l’envoya à l’hôpital en l’assommant avec une épée alors qu’il se prenait pour Jack Sparrow ? Noam. Qui décapitait ses poupées et enterrait leurs têtes dans le jardin ? Noam. Qui l’envoya chercher son ballon dans la cour du voisin au risque de se faire dévorer par le chien qui y vivait (une bête féroce, aux dents acérées, plus effrayante que n’importe quel épouvantard à en croire la jeune fille) ? Noam. Qui la surnomma Caca alors qu’elle n’avait que trois ans et s’arrangea pour que ce nom la suive jusqu’en CM2 ? Noam. Pire qu’un esprit frappeur qui a choisi sa prochaine proie, Noam est toujours là, tapi dans l’ombre, préparant son prochain coup… De ce fait, il ne pouvait qu’être également présent lorsque quelque chose d’hors du commun arrivait à sa petite sœur, se révélant parfois même utile — même si elle ne l’avouera jamais. L'exemple le plus frappant ? Le voici :
«
Bouge tes pieds d’là. » S’exclame l’adolescent, une grimace défigurant son visage alors que sa sœur, elle, ne peut s’empêcher d’arborer un sourire satisfait en approchant encore un peu plus ses pieds de son nez. «
T’as qu’à m’donner la télécommande. » Ah, la télécommande. Le précieux. L’objet qui a séparé plus d’une famille, la cause d’un fratricide sur deux. «
Crève ! » Un dialogue aussi posé, des échanges agréables et toujours polis… Voilà ce sur quoi se basent leur relation. «
T’avais qu’à arriver avant. » Rajoute t-il, décidé, les yeux rivés sur la télévision, essayant d’ignorer de son mieux le gros orteil de Cassandra qui s’enfonce dans son oreille. Dans le genre casse-noisettes (restons polis), on ne fait pas mieux que la plus jeune des Wellington… Et malheureusement, Noam est loin d’être patient. «
Dégage ! » ordonne t-il en se redressant, s’apprêtant à lui pincer la jambe… Mais, la sonnette retentit, l'arrêtant dans son élan. Les deux enfants se figent, se toisent quelques secondes du regard. Quelqu’un vient de sonner. L’un d’eux doit se lever et ouvrir la porte. Or, aucun n’a envie de lever ses fesses du canapé. Fainéant, voilà un terme qui décrirait à merveille le frère comme la sœur. «
T’es l’plus près. » s’empresse d’argumenter la fillette. «
C'est toujours moi qui y vait ! » «
C’est même pas vrai ! » Correction, fainéant et têtu. «
Pierre, feuille, ciseaux ? » propose la plus jeune, en avançant son poing, clos, geste qu’imite aussitôt Noam. «
Pierre, feuille, ciseaux. » Voilà comment se régler ce genre de conflits chez les Wellington. Un soupire. Un cri de joie. «
Sois pas dég. » «
J’te déteste. »
Sorcière ?
D’un pas lasse, Cassie se dirige vers la porte qu’elle ouvre sans grande conviction. Aussitôt, un hoquet de surprise lui échappe. Sur le porche se trouve un homme à la barbe imposante vêtue d’une longue cape en soie. Or ce n’est ni son élégance, ni sa barbe qui attirent l’attention de Cassie… Mais plutôt ses vêtements. L'homme qui lui fait face est habillé pour Halloween avec un chapeau de sorcière, une robe très étrange et une baguette, une baguette ? «
A croire que tous les moldus sont fascinant. » l’entend t-il marmonner en l’observant s'avancer pour entrer bien qu’il n’y ait pas été convié. La fillette s’écarte pour lui faire place, toujours aussi stupéfaite. «
Cassandra Wellington ? » demande l’inconnue. «
Je me présente, Albus Dumbledore, directeur de l'école de sorcellerie, Poudlard. » «
Pardon ? » intervient alors Noam qui a quitté le canapé quelques instants plus tôt et l'a rejoint, inquiet en n'obtenant aucune réponse à la question «
Qui c'est ? ». «
Albus Dumbledore, directeur de l'école de sorcellerie, Poudlard. »répète t-il, le ton doux. «
De sorcellerie ? » insiste Cassandra. «
Cassie, tais toi. » réplique aussitôt son frère en saisissant son bras. Voici l’une des majeures différences entre les deux enfants… Alors que la plus jeune était prête à boire les paroles de l’inconnue, Noam, lui, était beaucoup plus sceptique, une nécessité pour protéger cette sœur si naïve qui se noie si facilement dans le monde qu'invente certains auteurs. «
Si la sorcellerie ou magie, bref ce qu'tu veux, existe, pourquoi le père noël ne m’a pas apporté le téléphone que je voulais ? » «
Des fous se sont échappés d’un hôpital psychiatrique ? » A cette pensée, l’adolescent saisit le poignet de sa soeur et l’entraine dans une course effrénée au cours de laquelle elle manque à plusieurs reprises de mesurer le sol. Ce n’est qu’après l’avoir amenée dans une petite pièce et avoir fermé la porte derrière eux qu’il accepte de relâcher sa prise. Des heures, ils attendirent dans cette minuscule salle de bain avec pour seule arme leurs brosses à dents. Des heures avant que leurs parents, propriétaires d’une boulangerie, ne rentrent chez eux pour retrouver cet homme, déguisé, assis sur leur canapé bien trop petit, un verre de menthe à l’eau à la main. «
Je me suis permis… »explique ce dernier. «
… l’accueil n’étant pas le fort de vos enfants. » Ce n’est qu’après une longue conversation ponctuée de démonstrations qu’il parvint à convaincre chaque membre de la famille de l’identité de Cassandra. Une sorcière.
Depuis ce jour, Cassie n’a pas tellement changé… Elle est toujours aussi chiante, aussi naïve, aussi rêveuse si ce n’est plus. Maintenant qu’elle sait que la magie existe, comment ne pas espérer que la petite souris passe récolter les dents des enfants ? Comment ne pas imaginer que ces petites grenouilles en chocolat ont un cœur ? Comment ne pas en vouloir à sa baguette lorsqu’elle refuse de l’écouter alors qu’on lui a expliqué qu’elle avait une conscience qui lui est propre ? Comment ne pas vouloir goûter chaque potion qui traîne « juste pour voir ce que ça fait » ? Comment ne pas vouloir bâillonner une mandragore alors que celle-ci vient de vous exploser les tympans ?