** Je suis celui qui est parti, puis qui est revenu. Celui qui aime voyager, mais qui est casanier. L’éternel indécis, l’irréfléchi, l’insatisfait. Ou plutôt le trop satisfait qui, maintenant, ne sait plus quoi choisir. Elle s’en est arraché des cheveux à cause de moi, ma mère. « Mais qu’est-ce qu’il va devenir ? Quand va-t-il enfin grandir ? ». Mais à quoi bon s’inquiéter : au fond je suis aussi celui qui s’en sort. Le passif, la force tranquille, le partisan du moindre effort.

** Je suis celui qui se gâche. Celui qui aurait pu s’il avait voulu. Médicomage, reporteur, professeur... On m’en a pourtant dessiné des brillantes destinés. Mais il faut croire que je n’ai jamais été fait pour les responsabilités et le travail acharné.

** Je suis celui que tout le monde aime bien mais dont personne n’a vraiment besoin. Je ne suis pas spécial. Je ne suis pas unique, je ne suis pas génial. Je sais qu’un jour ou l’autre on finira par se lasser de moi. Je le sais. Je le sais, parce que c’est déjà arrivé. Je suis tout ce qu’il y a de plus remplaçable, de plus dispensable : je suis un mec interchangeable. Un gars sympa comme il y en a des tas, un mec comme ça qu’on laisse derrière soi.

** Je suis le gars sympa, le nounours, la bonne poire. Toujours souriant et prêt à rire de tout, j’ai cet air niais caractéristique des imbéciles heureux, de ces gens qui ont l’air un peu creux. Je suis un gentil, un vrai –  de ceux qui sont incapables de dire non à qui que ce soit et qui se retrouvent souvent à honorer des services auprès de gens qu’ils viennent à peine de rencontrer... Ce n’est pas que j’aime jouer les larbins, loin de là : c’est que j’ai envie d’être apprécié. Il faut croire que je n’aime pas qu’on ne m’aime pas.

** Un joyeux bordel, un bon gros bazar, une sacrée pagaille : c’est ça ma vie. Mon existence est sans queue ni tête, sans règles établies, sans logique apparente. Tout n’y est qu’impulsions irréfléchies, procrastination éhontée et jouissance du moment présent. Parce que je suis comme ça. Je suis dans l’instant, je suis sans lendemains… Je crois que ma mère n’a jamais pu se faire à cette idée. Elle a beau m’aimer sans la moindre retenue, je sais qu’elle aurait préféré que je sois différent. Moins marginal, plus ordinaire. Elle se serait fait moins de soucis, elle se serait rongé les sangs pour autre chose. Mais non : il n’y a que moi au centre de son attention. Sa vie est rythmée par les aléas de la mienne et son souffle se coupe à chaque fois qu’elle entend parler de moi.

** Je n’ai pas de passion. C’est con, mais je trouve ça triste. Il n’y a rien qui me fasse vraiment vibrer, rien qui me rende vraiment heureux. J’aime des tas de trucs, mais rien n’est viscéral. Je fais de tas de choses, mais rien n’est nécessaire. J’ai honte de ça parce que ça en dit long sur moi. Je ne suis pas passionné, et par conséquent je ne suis pas passionnant.

** J’ai plein de principes, des lignes de conduite. Je m’imagine que ça fait de moi quelqu’un de bien, quelqu’un de sûr. Mais au fond c’est surement que du vent. Des jolies phrases que je me dis pour me rassurer. Pour me persuader que je ne suis pas si passif que ça, qu’il y a des choses qui m’atteignent, des choses qui me révoltent. C’est con, mais j’ai envie de me dire que je suis capable de me battre pour mes idées. Que je suis capable de défendre mes proches pour de vrai. J’ai envie de croire que j’ai des valeurs, que j'ai de la valeur.

Bordel, mais qu’est-ce que je fou là ? Il y a un truc qui a dû vriller là-haut, dans les affres de mon cerveau. Ça allait mieux pourtant. Tu me manquais toujours autant, mais ça allait mieux.
Je crois que c’est cette histoire de cendres à rependre qui m’a fait disjoncter. Toi qui as toujours rêvé d’immensité, te savoir dans une boîte je ne pouvais juste plus le supporter. Alors j'ai fait une liste. Un peu comme si j'étais organisé, un peu comme si j'étais comme toi. Je me suis assis, j'ai réfléchi et puis j'ai écrit. Les endroits dont tu m'as parlé, les lieux qui te faisaient rêver, les villes que t'as dit vouloir visiter : j'ai tout couché sur papier. Pourquoi ? Pour toi. Je vais t'emmener là-bas.
Ne m'en veux pas mais je t'ai transvasé dans un genre de thermos. Je trouvais ça moins morbide que ton urne en marbre rose. Et puis au moins, comme ça, tu rentres dans un sac.

Je n'ai dit au revoir à personne. Je sais que ce n’est pas bien et que je vais le regretter, mais j'avais trop peur de changer d'avis, de me dégonfler et de rester ici. C'est que ça me ressemble pas, tout ça. Je n'aime pas l'inconnu, je n’aime pas le changement, je n’aime pas être perdu. Je n’aime même pas conduire, c’est dire. Et puis merde, je ne suis pas fait pour traverser le pays en solitaire. Je le sais comment que j'existe si personne ne me parle, si personne ne me regarde ? J'ai besoin des autres, moi. J'ai besoin de toi.
La route m'ennuie, alors je te parle entre deux chansons. Tu ne me réponds pas, mais au fond ce n'est peut-être pas plus mal. Ça veut dire que je ne suis pas encore fou. Ou alors pas complètement.

Je ne compte plus les fois où je me suis perdu, où je me suis trompé, où j’ai eu envie d’encastrer ce maudit van dans un arbre. Mais j’y suis finalement arrivé au premier endroit de cette foutue liste. J'ai laissé une poignée de toi là-bas et puis je suis reparti. Ça a duré pratiquement un an ces conneries...

   
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